science: en quoi l'obscurantisme mine-t-il tout débat
DANS LE DÉBAT PUBLIC, NOTAMMENT SUR LES VACCINS, LA CONFUSION ENTRE SCIENCE ET RECHERCHE PARASITE DES QUESTIONNEMENTS PARFOIS LEGITIMES, CARICATURANT LEURS AUTEURS EN COMPLOTISTES, DÉNONCE LE JOURNALISTE BRICE PERRIER DANS SON LIVRE «L'OBSCURANTISME AU POUVOIR».
Par éric Favereau
Brice Renier est audacieux, ll n’a pas suivi une voie facile en choisissant de
«penser contre». Ou plutôt en doutant des pensées dominantes, en l'occurrence dans le domaine scientifique. «Ce n'était pas une vocation», se défend-il. Jeune journaliste, il a ainsi travaillé sur un peu tout, puis s'est focalisé sur le champ de la médecine et de la science, en particulier dans l'hebdomadaire Marianne où il a couvert, entre autres, les années Covid. Mais voilà, constatant depuis quelques années qu'il avait de plus en plus de mal à publier ces enquêtes, il a fait un pas de côté, lancé un site payant, Raison sensible. Et il vient de publier un ouvrage, l'Obscurantisme au pouvoir. Quand la pensée dominante entrave la connaissance.
«Pour moi, c'était déroutant, je voyais des scientifiques, des chercheurs qui se disaient défenseurs de la raison, et pourtant lorsque l'on s'interrogeait sur un point, ils faisaient tout pour ne pas entendre», nous explique-t-il. On a compris, Brice Perrier n'est pas tout à fait dans l'air du temps. Brice Perrier n'est pas non plus un suicidaire. Non sans diplomatie, il entame son ouvrage en citant longuement la très respectée Catherine Bréchignac, secrétaire perpétuelle de l'Académie des sciences, qui avoue, elle aussi, ses inquiétudes sur les débats actuels qui ont du mal à exister. Elle note ainsi la «grande confusion» à l'œuvre aujourd'hui entre science et recherche. «La science, c'est la connaissance acquise, éprouvée, confirmée et consolidée avec de multiples expériences ou observations. La recherche est au contraire du non-savoir, une quête de l'inconnu pour faire avancer la science. Or avec le Covid, on a mélangé les deux, et des suppositions relevant de la recherche ont été considérées comme des vérités établies.» Et finalement «la science a été rabaissée au niveau de l'opinion».On serait, aujourd'hui, selon Brice Perrier, noyé dans cette confusion, avec des hypothèses de travail qui deviennent aussitôt des certitudes dans la sphère publique. La moindre interrogation sur la dernière certitude est alors refoulée, et ceux qui insistent se retrouvent enfermés dans le camp des complotistes.
Le débat est donc impossible. Des exemples ? Bien sûr il y a la vaccination, comme un précipité parfait de ce blocage. Brice Perrier décortique l'impossibilité de poser des questions sur cette mesure. Et pour cela revient quelques années en arrière : «Au mois de mai 2015, Marisol Touraine, alors ministre de la Santé, a déclaré que la vaccination, ça ne se discute pas.» Propos pour le moins déroutant. Pourtant, «début 2016, la ministre et les autorités sanitaires ont été "acculées au débat"', car il ne devenait plus tenable de "balayer d'un revers de main" les "inquiétudes sur d'éventuels effets secondaires graves".
Afin de restaurer la confiance, a donc été organisée une grande concertation citoyenne», sur la vaccination en général.
Mais voilà, cette concertation citoyenne s'est avérée «factice», juge-t-il, «parce que les deux jurys, composés de citoyens et de professionnels de santé, n'ont pas été entendus sur l'une de leurs principales demandes : mener des recherches pour savoir si l'aluminium présent dans la majorité des vaccins représente un risque d'effet indésirable». En clair, «le vaccin est sacré, tout discours critique se voyant immédiatement délégitimé, taxé d'irrationalité». Il n'a pas tort sur tout.
Cette convention citoyenne a dans les faits crispé les positions des uns et des autres, transformant ceux qui se posaient des questions en opposants: « Ce cas d'obscurantisme éditorial est symptomatique de la difficulté de traiter de la question de la sécurité vaccinale, aujourd'hui essentiellement réduite à une opposition binaire entre provax et antivax. De quoi susciter de part et d'autre des discours caricaturaux et un dialogue de sourds... Réclamer simplement des recherches sur des effets indésirables est amalgamé à une condamnation de la vaccination.»
Pour Brice Perrier, il n'y a pas que le vaccin. Les domaines sont légion de cette incapacité à simplement s'interroger. Bizarrement, il met dans le lot les débats autour de l'origine du Covid, arguant que toute personne ayant invoqué l'hypothèse d'une fuite d'un laboratoire fut considérée comme «déviante», ce qui ne fut pas le cas.De même, il aborde le sujet de l'homéopathie, mais là, il est plutôt convaincant. Loin de nous, - rassurons le lecteur -, de dire que l'homéopathie est efficace, mais la médecine est une pratique délicate, elle sert aussi à accompagner, à détendre, il est de bon ton aujourd'hui de parler de médecine narrative, donc il n'est pas absurde de préférer avaler quelques pilules sans effets cliniques plutôt que prendre des médicaments chers et aux effets secondaires pénibles. En tout cas, cela se discute. Plus généralement le journaliste développe et souligne le rôle et le poids des industries pharmaceutiques qui figent les débats, avec la confusion systémique des rôles entre le chercheur et le financeur. A l'image de ces essais thérapeutiques qui sont commandés, réalisés, et financés par ces mêmes industries. Comment voulez-vous qu'ils ne trouvent pas ce qu'ils veulent trouver ? Comment voulez-vous qu'ensuite ceux qui les critiquent ne soient pas taxés de paranoïaques ou de complotistes ? interroge l'auteur.
Bref, il y a plein de constats intéressants dans cette réflexion à contre-courant.
Mais pourquoi diable Brice Perrier a-t-il besoin de mettre en avant la notion religieuse d'obscurantisme, plutôt que celle de conformisme pour expliquer ces blocages ? D'autant qu'il pointe avec humour quelques facteurs qui poussent les uns et les autres à suivre le courant dominant, montrant par exemple combien un chercheur a tout intérêt à suivre les hypothèses dominantes s'il veut faire carrière. Faisant référence à quelques principes cognitifs, il rappelle les innombrables biais neurologiques que l'on peut avoir. Comme le biais de représentativité (on fait plus confiance aux gens haut placés), ou, plus classique, le biais de confirmation qui nous pousse à retenir ce qui conforte notre point de vue et d'écarter ce qui le contredit. Bref, il y a des facilités, des modes, dans la recherche comme ailleurs. Ce n'est pas grave, mais les transformer en certitudes scientifiques ne permet plus de les interroger.
Au final, ce livre dérange. Et c'est tant mieux. Brice Perrier y ajoute des accents de sincérité. «Je me suis retrouvé face à des gens qui refusent le progrès. Ils se disent progressistes, ils se vantent d'être les porteurs de la raison, mais en fait ils sont du côté de l'ombre.» Certes, mais comment dès lors avoir en partie raison, si l'on se pose en chevalier blanc solitaire ? «Mon livre est comme une bouteille à la mer, reconnaît-il. De ne pas prendre parti, de poser des questions, je me retrouve seul, sans un sou. Je ne sais plus où aller.»
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