Nous sortons après le déjeuner. Nous montons dans les minutes suivantes dans le taxi de Ruben qui nous dépose devant le Musée d'art latino-américain. Nos pas nous mènent à l’angle des proches rues Eduardo Costa et Ortíz de Ocampo, où nous allons admirer un étonnant manoir art nouveau de quelque huit cent mètres carrés, un autre édifice du célèbre architecte italien Mario Palanti, « rencontré » lors de la découverte du Palacio Barolo, réalisé avec son ami architecte, peu médiatisé, Ricardo Ulrico Augusto Algier à l’origine d’une centaine d’œuvres au cours de sa vie. La construction fut confiée aux membres des familles de Juan Castiglioni et Josefa Colombo. Connue sous le nom de « La Redonda » [La Maison Ronde], cette œuvre s’apparente à un palais. Une sorte de tour de guet, de belvédère, de mirador, du plus bel effet, qui s’élève d’une centaine de mètres dans le ciel bleu, a déjà fait l’objet de notre admiration lors de nos divers passages en taxi. Cette demeure emblématique, encore une, fut inaugurée en 1922 à deux pas du Palacio Acorta, le premier « Autodromo Palace », encore une réalisation de Mario, coiffé lors de cette même période d’un circuit d’essai automobile Chrysler.
Ce palais remarquable fut tout simplement extravagant : un immense bloc de béton, de pierre et autres matériaux, construit par l'entreprise de Federico Bence pour installer à son faîte une piste d'essai automobile ovale à ciel ouvert, nommée « Stade Olympus ». La base concave donna le dévers approprié pour la circulation dans les courbes de la plate-forme aérienne. Le Palacio Acorta, à la façade en trompe l’œil, comme celle du château d’eau du Palacio de Aguas Corrientes, étudiée pour entourer tout le périmètre du bâtiment dédié entièrement à la prospère industrie automobile, fut inauguré en décembre 1928.
Une légende raconte que l'architecte a construit la Redonda devant le palais Acorta, propriété de la famille Fèvre, concessionnaire Chrysler en Argentine, afin que le propriétaire de l’époque puisse observer depuis ses fenêtres la piste d'essai automobile qui coiffait le bâtiment. L’immense Palais Alcorta, après le bref passage d’un « Musée Renault », est occupé de nos jours par des lofts, des magasins de vêtements et des restaurants. Nous contemplons, béa d’admiration, la tour d'observation aux courbes de style hindou qui se détache parmi la cime des jacarandas et autres arbres vénérables à la ramure épanouie. Elle évoque en moi l'époque médiévale italienne. Je suis séduit par l’étonnante terrasse à colonnade semi-circulaire du premier étage à la balustrade en pierre protégée par une large marquise sous la tour. Tout est grandiose dans cette réalisation énigmatique qui semble inoccupée. Les volets d’une fenêtre latérale sont entrouverts, peut-être pour donner un peu de lumière à un fantôme esseulé.
La riche histoire de la Redonda raconte que le manoir accueillit différents propriétaires. Entre 1940 et 1949, la famille Ceballos y vécut jusqu'à ce qu'une de ses filles y décède de la tuberculose et qu'elle s'installe alors à l'hôtel Savoy. Plus tard dans le flot temporel, la famille De Salta l'utilisa lors de ses séjours à Buenos Aires. Il abrita également l'ambassade d'Iran jusqu'en 1979 lorsque le Shah Mohammad Reza Pahlavi était encore au pouvoir. La famille Fucile l'acheta un jour ; ses membres passèrent quatre ans à le restaurer. Ils y vécurent jusqu'en 1998, date à laquelle ils le vendirent. Fermé durant plusieurs années, il fut acheté par la société argentine Mobili qui effectua une restauration et installa à l’intérieur un showroom de meubles de luxe et d’œuvres d'art qui fut ouvert pendant environ deux ans. Les clients de cette période révélèrent des choses étranges : des lumières s'allumaient toutes seules, l'alarme retentissait sans raison, les tableaux bougeaient, des objets tombaient du haut des escaliers. Une légende raconte que « notre » fantôme est celui du chauffeur des premiers habitants qui décéda brutalement au début du siècle à la suite d'un accident à l'intérieur de la maison. Une rumeur raconte que le propriétaire actuel de La Redonda serait Argentin et qu’il vivrait à l'étranger. En son absence, la maison est gardée par le fantôme esseulé…
La suite de l’après-midi se déroule en promenade après un temps de découverte alentour et un bref passage au centre commercial Alcorta, sur la rue Jerónimo Salguero, où un immense hypermarché Carrefour occupe tout le rez-de-chaussée du centre. Nous flânons tour à tour dans la Plazoleta Juan Carlos Cobian, dans le parc de la plaza Alemania, dans celui de la plaza República de Chile après être passés devant la station d’essence Axion où le prix du litre commence à moins de quatre-vingt centimes d’euro, devant l’ambassade d’Arabie Saoudite, devant celle d’Espagne. Nous longeons le parc de la plaza Republica oriental del Uruguay.
Plus avant, le long de la rue Azcuénaga qui longe un des côtés du cimentière de Recoleta, où se situe l’hôtel Sileo, un jeune garçon torse nu fait sa toilette à une fontaine d’eau sur le trottoir. Souriant et avenant, il nous salue et nous demande une obole. Quand il voit que nous sommes Français, il sort son porte-feuille d’une sacoche et nous montre un billet de vingt pesos. Nous lui donnons un billet de mille pesos. Son visage s’illumine, il fait un Waï en remerciement. Je lui sers la main et il lève le pouce de son autre main en signe de reconnaissance. Un bien bel échange dans la simplicité et la beauté de la différence libres de tout jugement.
Plus près de chez nous, nous entrons à la confitería Luis XV sur l’avenue Las Heras pour acheter un roulé au chocolat. La jeune Nilza nous accueille à la caisse. Les seize heures approchent après deux heures de marche et quelques dix mille pas effectués dans la plaisante chaleur estivale. Juan et Jano nous accueillent au Starbucks pour un temps de détente. Les deux garçons connaissent nos choix. Nous sirotons chacun un chocolat chaud. Le café est animé. Un bébé passe entre les mains de sa maman et de son papa qui arrive après elle. Tiago, quatorze ans, entre pour vendre des mouchoirs en papier. Il s’assoit sur une chauffeuse en face de nous. Patrick lui montre un billet de dix francs suisses. Il reçoit un billet de mille pesos. Il me montre son poing ; comme je montre ma paume, il ouvre la sienne pour une poignée de main…
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